Beaucoup se plairaient à dire d'Elya qu'elle est plutôt commune, voire même qu'elle n'a rien d'attrayant et si beaucoup de femmes se sentiraient blessées par de tels qualificatifs, la jeune chimère quant à elle n'en a cure. Visiblement, rien ne peut l'atteindre, ou tout du moins, rien concernant son physique. Elle écoutera avec une distance non feinte les racontars à son sujet, allant même de son propre commentaire peu flatteur. La jeune femme n'est pas spécialement du genre à tenir rigueur à qui que ce soit de lui dire qu'elle est 'quelconque' ou 'laide'. A vrai dire, elle s'en moque, à moins … à moins que la personne en question n'ai une place privilégiée dans son cœur, mais c'est tellement rare qu'au final, cela revient à dire qu'elle se moque de tout.

Une phrase demeure dans sa mémoire de petite fille. Elya se revoit, à peine plus haute que trois pommes, et elle entend la voix suave et douce de celle qui fut jadis sa mère. « J'aime tes cheveux longs ma puce » murmure la dame tandis qu'elle coiffe l'enfant avec douceur. Bien qu'elle n'ait plus aucun autre souvenir de cette femme, la demoiselle a toujours souhaité garder ses cheveux longs. Pourquoi ? Aucune idée, peut-être pour se raccrocher à quelques espérances de revoir un jour celle qui la berça. Nymellia semble hanter sa mémoire sans que la jeunette ne soit capable pour autant de mettre un visage sur cette dernière. Fins, auburn, ses cheveux cascadent paisiblement jusqu'au creux de ses reins. La plupart du temps détachés, il est rare de voir ces derniers autrement, à moins qu'Elya ai décidé d'entreprendre un voyage trop long ou trop chaud pour les supporter libres. Depuis quelques mois, la jeune femme a tendance à appliquer une teinture noire naturelle pour couvrir la teinte auburn, certains prétendant qu'elle a tendance à être trop voyante. Sur les conseils de son grand frère, elle a alors adopté ce subterfuge pour passer plus inaperçue dans la masse.

Sans être particulièrement belle, Elya n'en est pas moins mignonne à regarder. N'allez pas croire qu'elle soit une véritable « bombe », loin de là, mais elle a un joli petit minois quelconque qui sait faire fondre le cœur des garçons quand cela est nécessaire. Des lèvres charnues s'étirant sur un sourire timide, une nuque fine, un corps athlète mais pour autant fin et gracieux. La chimère n'est pas anorexique, bien loin de là, elle a les formes qu'il faut, là où il faut. Sa tendance à s’empiffrer dès qu'elle voit quoi que ce soit ressemblant de près ou de loin à un dessert ou à de la viande, pose parfois problème pour ses rondeurs mais elle fait suffisamment d'exercice pour s'éviter trop de superflus. Des hanches solides, bien fournies sans pour autant être grasses, et une peau de pêche pour achever la description de cette chimère. Un grain de beauté se loge sur son épaule gauche. De jolis yeux bleus vous scruteront si vous avez le malheur de trop insister.

La plupart du temps, Elya ne se préoccupe que peu de ce qu'elle peut porter. Elle fait juste particulièrement attention à ce que rien ne dépasse de son corps, ni oreilles, ni queue, rien du tout. C'est une question de sécurité, car un secret est un secret. Des couleurs qu'elle pourrait préférer ? Pas spécialement, bien que les couleurs clairs telles que le beige semblent avoir sa préférence récemment. Tout dépend de ce qu'on attend d'elle en réalité. La seule chose à laquelle la chimère tient se trouve être ses mitaines, ouvertes sur le dos de la main, descendant un peu plus bas que le poignet et cachant la marque de l'archeo sur son poignet droit.

Ne vous inquiétez pas, bien que plutôt banale, il y a quelque chose au fond de ses yeux et de son être qui vous attirera. Prenez juste garde à ne pas tomber sous ses crocs !

Voyez ces magnifiques cheveux bruns qui disparaissent au profit d'une toison immaculée. Voyez cette silhouette élancée qui se transforme pour ne faire qu'un avec ce corps musclé. Elle est loin la jeune fille plutôt banale au regard azuré, bien loin également la demoiselle si froide et si distante, ne reste plus devant vous désormais que cette silhouette animale, toute en force. Les faiblesses humaines ont cédé à la force bestiale. Tandis qu'elle avance d'un pas, elle ne cesse de vous toiser de son regard d'ambre.

A côté du jeune homme que l'on prénomme Richard se dresse un animal désormais, dont les pas accompagnent ceux de son lié. La bête est calme et son regard ne quitte que rarement la silhouette de son frère cependant, s'il vous prenait le malheur de l'approcher avec de mauvaises intentions, ce serait à vos risques et périls. Haute sur pattes, Elya est sans doutes impressionnante sous cette forme si on la compare à la précédente. Sa robe aussi blanche que neige et ses yeux ambres lui donnent un air mystérieux, un « je ne sais quoi » de différent qui attire le regard. D'un pas assuré, comme si la jeune femme avait disparu sous les traits de la louve, l'animal s'avance en suivant son compagnon. Ses poils longs et soyeux ont tendance à se teinter de reflets roux sous les rayons du soleil couchant. Ses oreilles aux bords arrondis sont toujours bien dressées, à l'écoute de tout ce qui pourrait être utile à son frère ou à leur survie. Si jamais elles se rabattent sur son crâne, prenez vos jambes à votre cou car vous découvrirez bientôt les crocs saillants de la chimère.

Elya a un caractère bien à elle, bien trempé et particulièrement complexe.
D'habitude taciturne, elle ne parle pas beaucoup, du moins pas aux autres. En réalité, la jeune chimère est tout simplement très timide et a du mal à faire le premier pas. Si vous parvenez à faire le chemin vers elle, il est évident qu'elle saura vaincre cette timidité. L'amitié est une notion étrange aux oreilles de la louve, en réalité, elle ne parvient pas à en saisir tous les tenants et les aboutissants. Elle aimerait bien devenir l'amie de quelqu'un mais ne parvient pas pour autant à faire confiance facilement. Souvent blessée par les relations humaines lorsqu'elle était enfant, Elya a tendance à ne pas vouloir se lier trop à quelqu'un. Je vous l'avez bien dit qu'elle avait un caractère compliqué non ?

Son frère est un symbole, à la fois son héros bien qu'elle ne l'avouera jamais, son confident, son « ami », il remplit dans son cœur tous les rôles. Elle obéit à son frère en règle générale mais bien entendu, par principe, elle s'oppose souvent de prime abord à ses idées ou ses ordres. Un bon esprit de contradiction. Le taquiner est un de ses jeux favoris, Elya aimant le répondant de son grand frère comme son air buté lorsqu'il sait avoir raison et qu'elle insiste tout de même pour lui prouver le contraire. La jeune fille a tendance cependant à se montrer très protectrice envers lui, bien que sous sa forme humaine, elle ne le montre pas, elle devient un vrai démon sous sa forme animale si la vie de ce dernier est en jeu. L'archeo ? Elle s'en fou, à vrai dire, c'est un trait important de son caractère à savoir que rien ne l'inquiète vraiment et que tout ou presque lui passe par dessus la tête. Pourtant, elle bénéficie d'un bon esprit de synthèse et se trouve être relativement intelligente, suffisamment en tout cas pour épauler Richard sans être un poids pour lui.
En règle générale, vous verrez la vraie Elya lorsqu'elle est seule à seule avec son aîné. Souriante, agréable, relativement douce, plutôt taquine, éveillée, mais extrêmement casse pied et têtue !

Maligne, elle saura rire au moment opportun pour soutirer les informations qui l'intéressent. Depuis qu'elle est devenue « femme », elle se sent différente mais pour autant, elle ne supporte pas l'idée d'utiliser ses « charmes » pour obtenir quelque chose. Richard a tendance à le suggérer de temps à autre sans insister pour autant face à ses refus. Compréhensif, voilà ce qu'elle aime chez lui.

Ne vous avais-je pas dit que Elya est quelqu'un de complexe ? Ah si.
En réalité, son caractère plutôt calme n'est parfois qu'une façade, la demoiselle sachant parfaitement s'adapter à la situation. Ce n'est pas parce qu'elle vous sourira et vous parlera avec douceur qu'il faudra la voir comme une amie car tout ceci n'est qu'un rôle pour vous soutirer des informations. Insaisissable, elle se perd parfois elle-même. Ses crises de colère, de jalousie ou encore, ses fous rire et ses sourires sont plutôt rares avec d'autres personnes que son frère mais ce dernier a tendance à prendre de plein fouet les multiples personnalités de la demoiselle.

Vous n'avez rien compris ? Ne vous inquiétez pas, vous aurez toute l'occasion de la découvrir, elle, ou l'un de ses rôles.

La curiosité était un si vilain défaut, elle amenait son lot de bonnes nouvelles mais également son quotidien de surprises, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Comment croire que la petite fille d'un détective ne ferait pas comme son père ? Avait-il ne serait-ce qu'une seconde pensé lui cacher ce précieux carnet ? Les enfants copiaient leurs aînés, ce dicton était pourtant bien connu mais Edrick Ryran semblait l'ombre d'une journée l'avoir oublié. Une missive l'avait poussé loin de son cabinet de travail si bien que la petite fille avait tout à loisir l'occasion de fouiller les lieux du regard, sous celui, attentif, de son frère aîné. Fort heureusement, un client avait frappé à la porte, peu de temps après que la clochette à l'entrée annonça sa venue. Il était entré, Richard lui avait expliqué l'absence de leur père et le reste, Elya ne l'avait pas entendu. La petite fille alors âgée d'une douzaine d'années s'était mise à fouiller le bureau d'un geste lent et las, plus pour combler l'ennui que par envie. Ce petit jeu allait certainement changer sa vision des choses à l'avenir mais pour l'heure, l'enfant posait la main sur un petit carnet soigneusement rangé derrière une pile de dossier dans le bureau de son géniteur.

Richard était quelqu'un de perspicace, bien entendu, il avait soupçonné sa petite sœur d'avoir fouillé dans les affaires de leur père mais le sourire angélique de l'adolescente l'avait convaincu de ne pas l'embêter et de ne pas pousser son « enquête ». Après tout, enfance rimait avec innocence. Ainsi, les deux jeunes étaient rentrés chez eux sans se poser plus de questions et ce n'était qu'une fois la gouvernante payée en l'absence de leur père endormie, qu'une fois Richard attablé derrière son bureau pour finir ses exercices que la jeune chimère alluma une lumière discrète dans sa chambre, bien cachée sous sa couverture. Sans hésiter, une légère appréhension la tenaillant, elle ouvrit le carnet d'un doigt fébrile et parcourut les premières lignes.

« Aujourd'hui, maman n'a pas arrêté de dire que Lystra était belle dans sa nouvelle robe, comme si le mariage allait sauver son âme ... »

Elya ne comprenait pas vraiment la phrase mais le prénom de Lystra lui parlait, il s'agissait d'une tante dont son père parlait de temps à autre. Dans ses souvenirs, elle était une belle femme, qui passait une fois l'an par le passé pour discuter avec ce dernier. En poussant un peu plus loin, la gamine se souvint des longs cheveux bouclés de la femme en question puis, trouvant cet effort inutile, elle replongea dans la lecture.

« … Nollah dit que ce mariage est une grande bêtise, pourtant, elle envie chaque instant que notre sœur passe avec son fiancé. Quant à Jehan, il est comme moi, il s'en moque. »

L'adolescente commençait à comprendre ce sur quoi elle était tombée. Le carnet n'était pas un simple fourre tout comme elle avait pu le penser de prime abord, il s'agissait là d'un journal intime et, plus précisément, de celui de sa mère, cette femme dont elle ne se souvenait que très peu. Avec une envie dévorante, Elya tourna les pages avec vigueur et s'arrêta au hasard pour reprendre sa lecture.

« … Edrick est vraiment gentil, il est plutôt mignon mais Jehan m'empêche de les suivre. Le temps où il était le jumeau que j'adorais semble révolu, désormais, il m'oublie et passe le plus clair de son temps à m'éviter ... »

La gamin lut la suite, dévorant chaque page, non parce qu'elle voulait savoir la suite, mais parce qu'elle avait l'impression de connaître un peu mieux sa mère au travers de ces quelques lignes, comme si ce lien qu'elle n'avait jamais connu avec elle se tissait entre elles dans ces quelques mots. L'enfant n'avait jamais réellement pensé à cette femme, Richard ne parlait jamais d'elle, si ce n'était avec rancœur, et leur père ignorait totalement le sujet. Nymellia Ryran était un secret bien gardé et jamais Elya n'avait eut l'idée de questionner plus encore ses pairs. A vrai dire, elle n'avait aucun manque, n'ayant jamais connu l'amour maternel, du moins pas suffisamment pour en ressentir un vide. Alors qu'elle touchait bientôt à la fin du carnet, elle fut « heureuse » de lire les pages sur la naissance de son frère aîné. Il était étrange de lire ces lignes sur cet homme qu'elle connaissait si bien et l'amour qui transparaissait dans les mots de sa mère la mettait mal à l'aise. L'avait-elle aimé de la même façon ? Jusque là, la chimère ne s'était jamais posée la question. Sans faire attention au demeurant à tout cela, elle poursuivit la lecture. Jusqu'à la fin.

« … Elle est une … une chose. Une chose est sortie de mon ventre, une bête horrible. Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ? Quel est mon crime ? Ils le savaient, ils ne m'ont rien dit. Edrick m'a menti, Richard m'a menti. Cette petite n'est pas normale, c'est un monstre ! Comment ai-je pu mettre un monstre au monde ? Comment c'est possible ? Je dois partir. Je ne peux pas rester dans la même maison que cette abjection. Demain, je prendrais Richard avec moi et je l'emmènerais loin de ce loup … »

Elya fit une pause, choquée par ces mots. Elle parvenait à ressentir la violence du choc qu'avait été sa nature pour sa mère, plus encore, elle parvenait à appréhender sa terreur, sa colère et son ressenti. Sa peur transparaissait, transpirait dans chaque mot, dans chaque tâche d'encre qui parsemait le texte.

« … J'ai pensé qu'il fallait l'abandonner. Elle nous oubliera, à quatre ans, on oublie tout mais il n'a pas voulu. Comment ai-je pu vivre quatre ans s'en m'en rendre compte ? Je savais que quelque chose n'allait pas avec cette chose. J'aurais du … »

« … Ils n'ont rien voulu entendre. Richard hurlait. Edrick pleurait. Ils m'ont trahie pour cette sale bête. Qu'ils restent avec elle. Dieux tous puissants, faites qu'elle crève. Elle a détruit ma famille, que cette abomination meurt. Pourquoi me punissez-vous ? »

Le carnet prenait fin sur ces mots.
Sans s'en rendre compte, Elya pleurait. Elle sentit les larmes rouler en silence sur ses joues et il lui fallut du temps pour comprendre pourquoi elle réagissait ainsi. Elle n'avait jamais connu réellement Nymellia et pourtant, elle était touchée par ses mots. Ainsi, c'était de sa faute si leur mère avait décidé de les quitter. Sa faute encore si son père la regardait avec mélancolie à certaines périodes de l'année. Plus que tout, il était évident que Richard avait souffert toutes ces années de ce secret trop lourd pour des épaules d'adolescent.

Elya s'en voulait de ce lien qui n'existerait jamais. Plus encore, elle s'en voulait que son frère aîné ai souffert aussi longtemps par sa faute. Il l'avait choisi « elle », sans aucun doutes. Sans plus hésiter une seconde, l'adolescente se leva et entra dans la chambre de l'humain. Les larmes roulaient toujours sur ses joues, ses sentiments en pleine confusion, elle se blottit dans ses bras malgré ses protestations sur l'heure tardive. Sans un mot, elle exprima toutes ces émotions cloîtrées au fond de sa gorge.

Ce furent ensemble qu'ils brûlèrent ce carnet.
Devant les flammes qui dévoraient le « cœur » et la « mémoire » de leur mère, Elya n'éprouva rien. Cette femme n'avait pas su l'aimer, peu lui importait, si jusque là elle avait pu vivre sans son amour, force serait de constater qu'elle pourrait survivre à sa disparition à l'avenir. Le carnet n'était qu'un ramassis de vieux souvenirs qui disparaissaient désormais dans les flammes. Tout ne serait plus que cendres, poussière et amertume.

Il ne racontait pas la suite.

La suite était pourtant heureuse. Elya n'avait jamais été une enfant difficile, obéissante, vouée à se montrer fidèle à son frère aîné quoi qu'il arrive, elle était sans doutes plus facile que la plupart de ses congénères du même âge. Ses transformations d'abord aléatoires durant son enfance se furent moins spontanées et plus maîtrisées. Elle suivit les cours à l'école sans vraiment y faire attention, ayant une facilité déconcertante à répondre aux interrogations si bien que ses camarades ne tardèrent pas à se moquer d'elle. La chimère n'était plus intelligente, simplement plus curieuse et dotée d'une bonne mémoire tant visuelle qu'auditive. Son admiration pour l'héritier Ryran lui joua des tours dès l'enfance. Beaucoup se moquaient d'elle mais il était toujours là pour la protéger et, lorsqu'il quitta l'école, elle se forgea un caractère bien plus sombre que par le passé. Une ombre, telle était l'image que l'on aurait pu garder de la demoiselle. Discrète, peu encline à sourire ou à se lier d'amitié, elle se contentait de suivre son cursus scolaire, sautant une étape pour finir au plus vite. Elle ne se donnait la peine de faire quelque chose que si cela lui permettait de passer moins de temps sur les lieux d'apprentissage. A dix sept ans, elle en avait terminé du cursus scolaire.

Son frère et son père avaient passé leur vie à la protéger du monde, à la cacher aux yeux de ce dernier, à présent, ses dons, son être tout entier leur était fidèle et dévoué. Debout, droite comme un « I », la jeune femme qu'elle était devenue observait avec perplexité une photo jaunie par les années de cette femme qu'elle aurait pu appeler « mère ». Bientôt, elle la retrouverait, elle enfoncerait ses crocs qu'elle avait tant craint dans sa chair, se délecterait de son sang et offrirait sa vengeance à ce silence qui avait pesé sur eux durant tant d'années. Avoir grandi sans elle n'était pas un problème aux yeux d'Elya, mais elle ne supportait la souffrance dans les yeux de son père et de Richard.

« … Je t'écris ces lignes pour te remercier. »

Des paroles sur le sable, des paroles emportées par le vent.


Certains écrits parlent de renaissance. Il me semble aujourd'hui en écrivant ces lignes qu'Elya a connu cette chance. Le temps ne semble pas avoir d'emprise sur elle, le vent des sentiments ne semble pas la connaître, pas plus que le flot des souvenirs. J'ai parfois l'impression qu'elle est vide, comme une coquille de noix croquée par un écureuil trop gourmand. Elle a subi beaucoup de moqueries enfant, peut-être est-ce la raison de son mutisme avec les autres. Cette distance qu'elle a instauré avec les gens comme nous depuis des années, je crois que je la comprends. J'ai parfois envie de lui tendre la main mais je me ravise en voyant ses yeux glacés se poser sur moi. Elle a l'air si seule, si perdue avec ses pensées que j'ai parfois pitié d'elle.

Est-ce mal ?

Son frère nous a défendu de lui faire du mal. Je crois qu'il existe quelque chose de fort entre eux, que je n'avais jamais vu chez qui que ce soit d'autre. Pourtant, malgré tout, Elya semble fragile, sur le point de se briser à chaque pas. J'ai l'envie de la protéger. Je l'ai rencontrée alors qu'elle n'avait que six ans, j'en avais alors sept. Elle était timide mais très souriante et toujours de bonne humeur. Nous avons passé notre enfance à nous enfuir dans les bois, jouant à cache cache pour passer le temps. Je ne sais pas comment elle faisait, mais elle gagnait souvent. Les années ont passé et j'ai tenté de la protéger de mon mieux, jalousant en secret ce regard complice qu'elle n'avait que pour Richard.

Et puis les années ont passé. Elya est devenue plus distante au fur et à mesure que les moqueries se faisaient plus prenantes. Elle n'était que la fille sans mère, ou la petite rejeton Ryran pour les mauvaises langues. Toutes sortes de rumeurs couraient sur elle, sur sa relation avec son frère et tellement de choses abjectes de ce genre qu'elle a fini par s'éloigner de tout être vivant. Sauf Richard. Sauf moi. Dans un premier temps du moins. Je ne sais pas exactement quand j'ai cessé de la protéger, quand je me suis mis à agir de concert avec les autres. Peut-être parce qu'il semblait difficile de pouvoir la blesser. Peut-être parce qu'elle était tellement distante que ça la rendait invincible. Mais je n'oublierais jamais son regard le jour où elle a comprit que je faisais partie malgré moi du lot des imbéciles qui choisissaient la facilité. Du jour où elle a comprit, elle s'est renfermée encore plus, n'approchant personne, ne laissant plus personne saigner inutilement son cœur comme je venais de le faire.

J'aurais voulu lui demander pardon.
J'aurais voulu lui souffler à quel point je l'admirais, à quel point je l'aimais. Mais il m'avait fallu du temps pour le comprendre. Et du temps, il m'en manquait désormais pour rattraper mes erreurs.

J'avais été le premier à qui elle avait confié le secret du départ de sa mère. Le premier encore à qui elle avait confié nombre de secrets. Le seul, en dehors de son frère peut-être. J'avais sa confiance, tout comme elle avait la mienne et je l'ai trahi. Je crois que tout ça l'a poussée à grandir plus vite, toujours trop vite pour s'éloigner de nous autant que possible. Pour s'éloigner de moi qui la blessait par ma simple présence. Je savais qu'elle pouvait lire mes pensées, elle me l'avait confié un jour, la voix tremblante de peur après ce qu'elle m'avouait. Je le savais et pourtant, j'avais toutes ces choses en tête en la voyant. J'avais envie de lui faire du mal, j'avais envie de la protéger. J'avais envie de l'aimer.

Elya a toujours été meilleure que moi, je n'ai été qu'un piètre compagnon. J'espère qu'un jour, elle lira ces quelques lignes et qu'elle saura à quel point notre complicité me manque, même si elle n'a été qu'illusoire.


Elya sortit de la salle, soulagée. Il était plutôt rare qu'elle exprime le moindre sentiment positif en présence d'être humains ou de tout autre personne si cela n'entrait pas dans le cadre d'un jeu. Pourtant, aujourd'hui, la jeune fille se sentait incapable de cacher ses sentiments plus encore. Désormais, elle n'aurait plus l'obligation de venir dans l'établissement, son cursus était terminé et elle pourrait enfin épauler son frère à temps plein. Tandis qu'elle rassemblait ses affaires pour reprendre le chemin de la maison une ultime fois, elle croisa les pensées de Lyra sans le vouloir. Cela lui arrivait souvent de lire les pensées du jeune homme par habitude plus que par envie. Elle crut percevoir quelque chose avant de rompre le contact violemment. Etourdie, elle posa sur le jeune homme qui fut dans une autre vie son meilleur ami. Le silence pesait entre eux, les séparant indéniablement. Dans ses yeux, beaucoup d'émotions pouvaient se lire, la déception, la colère, la pitié mais aussi, quelque part, le pardon. Il avait fallu du temps à Elya pour accepter ce sentiment.

Si elle avait été capable de pardonner à Lyra, peut-être un jour ...